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Mines et hydrocarbures : urgence d’un partenariat global en vue du financement du programme d’industrialisation de la RDC

(Par Albert Lutete Mvuemba, Consultant Economiste auprès du Centre de Recherche CERPEC ASBL)

(Par Albert Lutete Mvuemba, Consultant Economiste auprès du Centre de Recherche CERPEC ASBL)

Au cours de la dernière décennie, le contexte international est devenu favorable au continent africain. En effet, les deux superpuissances économiques, les Etats-Unis d’Amérique et la Chine, ont mis en place deux systèmes préférentiels pour booster leurs échanges commerciaux avec l’Afrique dans le cadre du « win-win patnership ». Les forums AGOA des 25-26 juillet 2024 et FOCAC des 4-6 septembre 2024 ont pris l’engagement d’accroître parallèlement le commerce intra africain sous les auspices de la Zlecaf (Zone de libre-échange continentale africaine).

1. Contexte international favorable

En juillet 2024, le gouvernement américain a organisé à Washington la 21ème édition du Forum AGOA (Loi sur la croissance et les opportunités en Afrique), qui a pris entre autres résolutions : la prolongation de la facilité d’accès aux marchés américains pour 15 années supplémentaires.

Les Etats-Unis attendent, non seulement ouvrir la voie à la modernisation du partenariat avec l’Afrique, mais aussi de veiller à ce que l’AGOA réalise pleinement son potentiel de promotion d’une croissance économique, d’un développement et d’une intégration régionale inclusifs et durables.

De l’autre extrême du monde, la Chine vient de clôturer le 6 septembre 2024 son neuvième Forum sur la coopération sino-africaine, FOCAC 2024, en s’engageant dans un plan d’édification d’infrastructures en Afrique (USD 50 milliards en 3 ans) et surtout de faire progresser l’économie africaine dans la chaîne de valeur internationale et de passer de l’aide au commerce, grâce à une stratégie globale de valorisation des produits africains en vue de la promotion des exportations sur les marchés chinois. Cependant, les deux forums sont encore largement marqués par une dynamique donateur-bénéficiaire.

Cela s’explique en partie par les faiblesses de la planification stratégique du côté africain, alors que les deux superpuissances poursuivent des objectifs précis à court, moyen et long termes. En toute transparence, la Chine publie régulièrement des documents stratégiques complets sur l’Afrique, tels que les livres blancs de 2006, 2015 et 2021, pendant que les pays africains n’ont pas de stratégie cohérente à l’égard de la Chine. (Nantulya P. Africacenter.org).

A grand renfort de la production scientifique de son intelligentsia, la RDC se doit de peaufiner sa stratégie en vue de la promotion de son commerce avec les deux superpuissances du monde, notamment par l’amélioration de son marché financier afin de mobiliser les recettes d’exportation des entreprises minières pour booster son plan d’industrialisation.

2. Perspectives économiques de la RDC et son potentiel dans la production et exportation des produits de base

Avec ses 80 millions d’hectares de terres arables et plus de 1.100 minerais et matières précieuses, la RDC a le potentiel de devenir l’un des plus grands pays exportateurs du continent, et la principale économie qui pourra piloter la croissance en Afrique. L’avenir de notre pays dépend des réformes à mettre en œuvre en vue de maîtriser l’exploitation des matières premières, et de perfectionner le système financier national pour canaliser les recettes d’exportation desdites matières vers les secteurs porteurs. Comme en 1987, le gouvernement zaïrois (congolais) avait fustigé le fait que le pays était devenu exportateur net des capitaux, alors que le Zaïre était en programme d’ajustement structurel, et que la Banque mondiale et le FMI étaient censés lui apporter l’appui budgétaire pour équilibrer les finances publiques, soutenir l’épargne nationale et relancer les activités de production et les exportations.

Le service de la dette dépassa 50 % du budget du Zaïre durant les années 1983-1989 : remboursement prioritaire de la dette et désétatisation entraînant malencontreusement la dégradation des secteurs sociaux, de l’agriculture et de la fonction publique…(www.droitcongolais.info) De nos jours, le constat lamentable est que la RDC exporte, et ses matières premières, et les recettes générées par lesdites matières.

En violation de la Réglementation de Change et du Code minier, le système financier national n’arrive pas à capter les recettes d’exportation en privant notre pays d’une bonne partie de la base monétaire qui aurait pu étendre le crédit à l’économie et l’investissement.

Même si le Règlement minier, en ses articles 544 et 545, institue à juste titre le contrôle des emprunts sur les marchés financiers étrangers afin de limiter les transferts des fonds en faveur de non-résidents, mais rien n’y a fait.

3. Evaluation statistique de revenus des exportations nettes à rapatrier en RDC

En se référant aux statistiques du World Trade Organisation pour l’année 2022, les exportations de produits marchands se fixaient à USD 28,2 milliards, tandis que les importations s’élevaient à USD 11,0 milliards. Concernant les services, les exportations étaient d’USD 0,109 milliard contre USD 4,5 milliards d’importations. Il se dégage globalement un excédent commercial d’USD 10 milliards. De cette manne qui tombe annuellement, au bas mot, 60 % des recettes minières devraient renforcer les dépôts dans le système bancaire congolais et faire l’objet des négociations pour un partenariat global dans le financement d’un programme d’industrialisation de la RDC, conjointement avec toutes les entreprises minières propriétaires ou détentrices de ces recettes à rapatrier.

(Eurêka) Aux antipodes de l’économie sud-africaine, où le Johannesburg Stock Exchange (JSE en sigle) est, depuis l’époque de la ruée vers l’or en 1887, le principal centre d’échange financier, le Congo belge n’a jamais implanté un marché financier. Pour la période 1950-58, le Plan décennal avait prévu 50 milliards de francs environ de dépenses d’investissements dont 25 milliards pour le secteur privé (projets de création ou d’extension des entreprises minières, industrielles ou agricoles), empruntés sur les marchés américains. (Banque mondiale, Orientations stratégiques pour la reconstruction économique du Zaïre, 1994). Afin de régler cette carence de marché financier, le législateur congolais a institué l’obligation de rapatriement des recettes d’exportation.

4. Rappel des dispositions de la Réglementation de Change et du Code minier : l’obligation de rapatriement des recettes extérieures

Suivant les dispositions de l’article 31 alinéa 1er de la Réglementation du change : une déclaration pour exportation des biens modèle « EB », dûment validée par une banque agréée, vaut autorisation d’exporter et induit l’obligation de la part de la banque agréée intervenante de recevoir la totalité de la valeur de l’exportation réalisée dans les délais définis à l’article 32. Article 32 : Alinéa 1 : A l’exception de l’or et du diamant de production artisanale dont le montant doit être reçu en banque dans les 20 (vingt) jours au plus tard à compter de la date de sortie, le rapatriement des recettes d’exportation ou de réexportation doit intervenir au plus tard 60 (soixante) jours calendriers à compter de la date de sortie des biens du territoire national. Article 53 : Alinéa 4 : La banque agréée est tenue de créditer le compte en devise de l’opérateur économique dans les 48 heures après réception de fonds.

Le Code minier (Loi n° 007/2002 du 11 juillet 2002 portant Code minier telle que modifiée et complétée par la Loi n°18/001 du 09 mars 2018) met en exergue les mêmes dispositions : Article 268 al. 2 et 3 : Le titulaire d’un droit minier a l’obligation de rapatrier les recettes d’exportation dans le compte ouvert dans une banque agréée auprès de laquelle l’exportation a été domiciliée. Article 269 al. 1er, 2 et 3 : Le titulaire qui, en phase d’amortissement de son investissement, exporte les produits marchands des mines est tenu de rapatrier obligatoirement dans son compte tenu en République Démocratique du Congo, 60% des recettes d’exportation dans les quinze jours à dater de l’encaissement au compte principal.

La quotité rapatriée est destinée à couvrir les dépenses domestiques en faveur des résidents et ne peut servir à financer les transactions reprises à l’article 264 du présent Code (transfert en faveur des non-résidents des revenus primaires et secondaires, transfert en capital et le service de la dette).

5. Evaluation du gap des recettes non rapatriées en 2021 et 2022

D’après les calculs des Services du FMI, dans son rapport n° 22/390 de décembre 2022, les montants estimés des recettes en devises à rapatrier s’élèvent respectivement à USD 6,5 milliards en 2019, USD 7, 0 milliards en 2020, USD 12,5 milliards en 2021, USD 11,0 milliards en 2022. Cependant, une infime partie de ces montants a été effectivement enregistrée dans la variation du total des dépôts des banques commerciales en RDC, soit USD 1,5 milliards en 2019, USD 2,0 milliards en 2020, USD 2,3 milliards en 2021 et seulement 318 millions en 2022. Le gap non rapatrié se chiffre à USD 5,0 milliards en 2019, USD 5,0 milliards en 2020, USD 10,2 milliards en 2021 et 10,681 milliards en 2022, soit un total d’USD 30,881 en quatre ans comme le graphique ci-joint l’illustre.

Graphique tiré du rapport 22/390 du FMI.

Selon toute vraisemblance, l’enjeu en RDC va au-delà du recouvrement maximal de l’impôt sur les secteurs des mines et des hydrocarbures, plus loin que l’amélioration du contenu social des projets miniers, transcendant davantage l’attribution des marchés de sous-traitance aux entreprises nationales, plus haut que le troc entre les mines et les infrastructures, voire l’impératif de création d’emplois.

Il s’agit de l’application stricte de la réglementation de change et du Code minier aux fins du rapatriement de 60 % des recettes d’exportation des produits de base, dans l’objectif de financer le plan d’industrialisation de la RDC de commun accord avec les partenaires détenteurs desdites recettes.

Cette clairvoyante perspective nous est donnée en mille par un ancien diplomate en poste dans notre pays : « selon les chiffres que j’ai vérifiés, en 2021, la RDC devait mobiliser 8,3 milliards de dollars américains. Au cours de la même année, l’excédent commercial de la RDC était de 8,8 milliards USD. Cela dépasse même le total des recettes budgétaires ». (https : zoom-eco.net) Par comparaison à l’économie sud-africaine, les flux de vente de produits de base sont retenus dans un marché de financement actif et liquide (JSE) où environ 1.600 titres de créance sont inscrits, et près de 25 milliards de rands se négocient quotidiennement sur le marché obligataire, sur fond d’un système bancaire robuste. (JSE is the16th largest stock exchange in the world)

6. Renforcement de la coopération économique avec la Chine : création d’une banque d’Etat spécialisée dans le commerce international

Dans la guerre commerciale entre les USA, l’Union Européenne et la Chine, notamment celle du contrôle du marché de voitures électriques et de la production des composants de batteries, les minerais de la RDC constituent un facteur de compétitivité des fabricants des pays en compétition. Cet atout devrait amener les investisseurs à s’installer en RDC et d’y développer la chaîne de valeur de la mobilité verte (voitures électriques).
Cependant, le fait que la Chine, qui a dans notre pays un grand nombre d’entreprises minières, ne dispose pas sur place d’une banque d’envergure pouvant réorienter les revenus générés par les mines vers d’autres secteurs porteurs, ne permet pas l’avènement d’une vraie coopération industrielle. Selon les statistiques de l’OMC, la balance commerciale particulière avec la Chine en 2022 atteste des exportations évaluées à USD 15,6 milliards et les importations d’USD 5,06 milliards.

Cela dégage un excédent de près d’USD 10 milliards pouvant être rapatrié pour financer des projets communs dans le cadre du programme d’industrialisation de notre pays. Il serait impérieux de négocier avec le consortium d’entreprises chinoises installées en RDC, le rapatriement des recettes d’exportation des matières premières et la création d’une banque de commerce extérieur commune pour la canalisation et le placement de ces fonds. Etant donné que la quotité des recettes rapatriées est destinée à couvrir les dépenses domestiques en faveur des résidents et ne peut servir à financer les transactions extérieures reprises à l’article 264 du Code Minier.

Pour sa part, le gouvernement devra assurer à tous les partenaires un cadre macroéconomique stable, en prônant une stratégie de réduction du train de vie des institutions, la discipline financière, l’orthodoxie budgétaire, le respect strict de la loi sur les marchés publics, la refonte du système fiscal, l’assainissement des entreprises du portefeuille, la formation obligatoire des cadres de l’Administration publique au standard élitiste de l’ENA et le renforcement des institutions supérieures de contrôle des finances publiques.

Des réserves budgétaires seront en permanence constituées par le Gouvernement (application rigoureuse du plan d’engagement budgétaire et du plan de trésorerie) afin de se prémunir contre les chocs extérieurs, et de constituer une épargne nationale disponible pour le système financier national, et pour alimenter le fonds de péréquation en faveur des Provinces. Par-delà les aspects financiers, il faudrait négocier avec les universités chinoises l’appui en personnel académique en vue de créer plusieurs facultés polytechniques et facultés des sciences de base dans toutes les provinces de la RDC ; cela pourra booster les effectifs d’ingénieurs civils et spécialistes en sciences (physique, chimie, mathématiques, biologie, pétrochimie…) nécessaires au programme d’industrialisation de la RDC.

7. CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

D’aucuns pensent que pour renforcer l’impact du Forum sur la coopération sino-africaine, les pays africains ont besoin d’une stratégie d’engagement plus cohérente avec la Chine, ainsi que d’une transparence et d’une sensibilisation de l’opinion publique et d’une action citoyenne accrues. (Nantulya P. Africacenter.org) En exploitant les opportunités offertes par les marchés chinois, les gouvernements africains se sont engagés à faire progresser leurs économies dans la chaîne de valeur du commerce international afin de ne plus dépendre de l’aide publique au développement.

En ce qui concerne la RDC, le gouvernement devrait mieux surveiller le processus de rapatriement des recettes d’exportation des produits de base en application de la Réglementation du Change en vigueur, en vue de mobiliser, de commun accord avec les entreprises exportatrices, les fonds pour le programme d’industrialisation de notre pays. Il serait urgent de réformer le système financier de la RDC par la création, en partenariat avec les entreprises minières, d’une banque d’Etat ayant spécialement comme objet l’intervention dans les opérations d’import et export en appliquant strictement la réglementation du change notamment le rapatriement des recettes d’exportation.

Cette nouvelle banque Import-Export pourra alors participer dans le crédit à accorder aux entreprises exportatrices en vue de l’extension de leurs activités primaires, ou aux coentreprises à créer avec l’Etat pour la réalisation des projets d’investissements industriels dans les zones économiques spéciales (ZES).

Tenant compte des avantages comparatifs dans certains secteurs porteurs, le Plan d’industrialisation de la RDC se focalisera sur la transformation des minerais aux fins d’un surcroît de la valeur ajoutée, l’électrification à grande échelle à partir des énergies renouvelables pour le développement d’une industrie « sobre en carbone », ainsi que la modernisation de l’agriculture pour une croissance de l’offre des denrées alimentaires destinées au marché national et à l’exportation.

Dans cette perspective, la priorité serait l’amélioration du capital humain par la réforme intégrale de l’enseignement supérieur et universitaire afin de former rapidement les ingénieurs, experts en sciences de base et techniciens. Au niveau de l’Administration publique, l’extension de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) et du Service National Universel (avec conscription optionnelle) dans toutes les provinces relèverait le standard des fonctionnaires en vue de la promotion de la bonne gouvernance. Sans atermoiements, les pays africains se doivent d’amorcer toutes les réformes socioéconomiques et politiques, en vue de briser les déterminants sociaux qui enferment le continent tout entier dans la trappe à pauvreté. Il serait temps de créer une synergie entre les gouvernements, les entrepreneurs et les forces sociales dans l’édification d’un havre de paix et de prospérité en Afrique.

Dans chaque nation, l’Etat et tous les membres du Corps social (partenaires sociaux, entrepreneurs et forces de la société civile) devraient redéfinir les droits et les devoirs devant régir leurs relations, en ligne avec une gouvernance socioéconomique qui fixe la répartition des ressources nationales entre les différentes cohortes d’âges, afin d’assurer la sécurité, la paix et le bienêtre à travers les générations. Par-delà ce contrat social intergénérationnel, il s’agit de l’avènement du « royaume basé sur le droit et la justice », afin d’hériter avec Jésus-Christ de toutes les bénédictions inscrites dans le livre de Deutéronome 28 : 1-14 et non les revers de Esaïe 59 : 10.

Fait à Kinshasa, le 10 septembre 2024

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