Alors que la communauté internationale célèbre ce 3 mai la Journée Internationale de la Liberté de la Presse, la situation en République Démocratique du Congo reste marquée par des contrastes saisissants entre les engagements officiels et la réalité vécue par les professionnels des médias. Malgré une Constitution garantissant la liberté d'expression, la presse congolaise évolue dans un environnement où intimidation, autocensure, et instrumentalisation sont monnaie courante. Tour d'horizon.
La Constitution congolaise garantit certes la liberté d'expression et celle de la presse, mais dans les faits, ces garanties sont fragilisées par une application souvent arbitraire des lois. La loi sur la presse, adoptée en 1996, reste en décalage avec les réalités contemporaines, notamment celles du numérique. Bien que le gouvernement multiplie les engagements sur la scène internationale, en adhérant à des déclarations comme Windhoek+30 ou en coopérant avec l'UNESCO – ces démarches apparaissent trop souvent comme des exercices de style sans portée concrète.
Journalistes en ligne de mire
L’un des aspects les plus alarmants de la situation reste les violences exercées contre les journalistes. Arrestations arbitraires, agressions, menaces et parfois assassinats viennent rythmer leur quotidien, en particulier dans les régions de l'Est où le conflit armé rend le journalisme presque impossible. Selon les chiffres de l'ONG Journaliste en Danger, au moins 67 cas de violations de la liberté de la presse ont été enregistrés en 2024.
La plupart de ces violations sont le fait des forces de sécurité, des groupes armés ou de responsables politiques. Le sentiment d’impunité domine, car rares sont les auteurs de ces actes qui sont poursuivis. La peur est devenue une stratégie officieuse de contrôle des médias.
L’indépendance des médias en RDC est gravement compromise par leur mode de financement. De nombreux organes de presse appartiennent à des hommes politiques ou à leurs proches, ce qui biaise l’information. Les lignes éditoriales sont dictées par des agendas politiques, et la censure éditoriale, bien que rarement explicite, s’impose de fait.
De ce fait, l’autocensure devient une norme. Les journalistes évitent d’aborder des sujets sensibles comme la corruption, la mauvaise gouvernance, les droits humains ou encore les dérives du pouvoir. Ce climat, nourri par la précarité économique des rédactions, nuit à la qualité de l’information et à la confiance du public.
Le numérique, un souffle d’espoir menacé
Malgré ce contexte difficile, les réseaux sociaux et les plateformes numériques offrent de nouveaux canaux d’expression. Blogueurs, youtubeurs et journalistes citoyens participent à renouveler le paysage médiatique. Mais ce nouvel espace de liberté est à son tour sous pression. La loi sur la cybersécurité adoptée en 2022, censée protéger les citoyens, est souvent utilisée pour restreindre les libertés individuelles. Des activistes sont arrêtés pour "diffusion de fausses nouvelles" ou "atteinte à la sûreté de l’État", des accusations souvent fourre-tout.
Par ailleurs, le blocage d’Internet lors des périodes électorales ou de tensions sociales devient une habitude étatique, avec de lourdes conséquences sur la circulation de l’information.
Face à cette situation, plusieurs leviers d'action s'imposent :
• Revoir la législation : La loi sur la presse doit être modernisée pour inclure les réalités numériques et garantir la protection des journalistes.
• Lutter contre l’impunité : Il est crucial que les auteurs de violences contre les journalistes soient poursuivis et sanctionnés.
• Dépolitiser les médias : Le financement public des médias doit être régi par des critères objectifs et transparents.
• Soutenir le journalisme indépendant : Les initiatives citoyennes, les coopératives de presse, et les médias communautaires doivent être encouragés.
• Protéger la liberté numérique : L’accès à Internet et la liberté d’expression en ligne doivent être garantis.
La liberté de la presse en RDC reste un combat quotidien, loin des proclamations officielles. Si les journalistes continuent d’exercer leur métier avec courage, ils le font souvent au prix de leur sécurité et de leur intégrité. Il appartient aux autorités congolaises, aux institutions régionales, et aux partenaires internationaux de faire en sorte que cette liberté cesse d’être un simple slogan pour devenir une réalité vécue et protégée.
La presse libre n’est pas l’ennemie du pouvoir. Elle en est le miroir critique, le contrepoids nécessaire et le garant de la démocratie. Il est temps que la RDC en fasse une priorité nationale.
Plamedi MUZAMA